1685 : Claude de Ramezay (1657-1724), issu de la noblesse française, arrive au Canada à titre de lieutenant dans les troupes de la marine. En 1690, il épouse Marie-Charlotte Denys de la Ronde (1668-1742), fille d’une des familles bien en vue de la colonie.
En 1705, Claude de Ramezay, nouveau Gouverneur de Montréal, décide de se faire construire, sur le coteau qui surplombe la petite bourgade fortifiée, une résidence à la hauteur de son statut social. Cet édifice imposant, en pierre (alors que la majorité des autres constructions sont de bois), est sans doute dès le départ appelé « Château » étant donné la pratique de l’époque de désigner ainsi la résidence d’un gouverneur. Ramezay n’est pas peu fier de sa demeure, et écrit même au Roi qu’il a « sans contredit fait construire la plus belle maison en Canada ». De plus, comme il se doit pour un tel « hôtel particulier », celle-ci est agrémentée d’un vaste jardin, incluant un verger d’une superficie de près de 4 000 mètres carrés.
À la suite du décès de Claude de Ramezay en 1724, le Château sert à diverses fonctions au fil du temps, accueille un grand nombre de personnages historiques et est ainsi témoin de plusieurs grands moments de notre histoire. Tout d’abord, Madame de Ramezay le loue, comme « pied-à-terre » montréalais, à l’Intendant de la Nouvelle-France, nommément Gilles Hocquart. Madame décède en 1742 et ses héritiers vendent la maison à la Compagnie des Indes, détentrice du monopole du commerce du castor, qui en fait son bureau principal dans la colonie et y héberge son agent général. La Compagnie réalise des travaux d’agrandissement du Château en 1756 pour donner au corps du bâtiment les dimensions qu’on lui connaît aujourd’hui.
En 1764, le marchand William Grant en fait l’acquisition. À compter de 1773, il loue l’édifice au gouvernement britannique, comme résidence du gouverneur, qui l’achète en 1778. Le Château, vraisemblablement symbole de « lieu de pouvoir », est d’ailleurs choisi par l’Armée continentale des États-Unis d’Amérique comme quartier général durant son occupation de la ville de novembre 1775 à juin 1776 ; épisode pendant lequel il voit notamment Richard Montgomery, Benedict Arnold et Benjamin Franklin franchir sa porte. Au cours de toutes ces années, de nombreux gouverneurs et hauts dirigeants britanniques se succèdent sous son toit, jusqu’en 1849, alors que Lord Elgin y a ses bureaux. Cette année-là, des manifestants incendient l’édifice du Parlement du Canada-Uni et Montréal perd par la suite son statut de capitale. Cet événement marque la fin d’une époque pour le Château dorénavant utilisé à d’autres fins. Tout d’abord, on y loge le Palais de justice du District de Montréal jusqu’en 1855 (pendant la construction du nouveau palais de justice, aujourd’hui connu sous le nom de Vieux palais de justice). Le bureau d’Éducation du gouvernement du Québec, qui devient le Conseil de l’instruction publique, s’y installe en 1856, avec Pierre-Joseph-Olivier Chauveau à sa tête, et l’École normale Jacques-Cartier y ouvre ses portes l’année suivante. En 1879, la Faculté de médecine de l’Université Laval à Montréal, et la Faculté de droit, en 1882, y offrent leur formation jusqu’en 1889. Par la suite, jusqu’en 1892, la Cour de magistrats y siège pendant les travaux d’agrandissement du palais de justice voisin.
C’est au cours de ces années qu’entre en jeu notre organisme, connu sous le nom de Société d’archéologie et de numismatique de Montréal. Fondée en 1862 par un groupe de Montréalais, exceptionnellement issus des communautés francophone et anglophone, les membres de cette « société savante », phénomène d’une sociabilité bourgeoise propre à l’époque, partagent un intérêt pour notre patrimoine et se consacrent bénévolement à son étude, à sa conservation et à sa mise en valeur. Leurs activités sont typiques de ce genre d’organisation : ils se rencontrent pour discuter de leur passion, présentent des conférences, publient un périodique (The Canadian Antiquarian and Numismatic Journal), constituent une collection et réalisent des expositions. Ils forment même un groupe de pression qui recommande des interventions de préservation face à certains témoins de notre passé qui sont alors menacés. Dans cette même veine, ils entreprennent en 1892 l’installation des premières plaques historiques sur des édifices et des sites à Montréal à l’occasion du 250e anniversaire de fondation de la ville.
D’ailleurs, l’année précédente, ils avaient formé un comité qui avait pour mission de travailler à la sauvegarde du Château Ramezay en vue d’y installer un musée d’histoire et une bibliothèque. Malgré leurs démarches auprès du Gouvernement du Québec, alors propriétaire de l’immeuble, ce dernier, souhaitant se départir de ce vieil édifice, annonce au printemps 1893 qu’il sera vendu aux enchères le 24 octobre.
Devant la menace de voir ainsi disparaître le Château Ramezay sous le pic des démolisseurs au profit de promoteurs et face à l’indifférence des autorités gouvernementales, la Société décide d’ameuter l’opinion publique. L’assemblée de citoyens tenue le 17 octobre à la requête de la Société entraîne la convocation à une réunion spéciale du Conseil de Ville le 23, la veille de la vente. Une pétition, signée par 2 000 personnes, y est déposée. La Société demande à la Ville d’acheter l’édifice, en échange de quoi elle s’engage à y installer un musée et une bibliothèque. Voici un extrait des propos d’un membre de la Société (George Hague) tenus lors de cette assemblée et cités par un journaliste :
« ... the building could be made the repository of those mementos which develop a patriotic spirit in the coming generation that would be of great good to the country as a whole. He hoped that in some way or other the property would be secured, and it would become the center of an historical museum which would be the pride of Montréal. »
[Cet édifice pourrait devenir l’écrin de ces souvenirs qui insuffleront un élan patriotique aux générations futures, pour le plus grand bien de l’ensemble du pays. Il souhaitait, de toute façon, la conservation de cet édifice qui deviendrait le site d’un musée historique qui deviendra, et pour Montréal, une source de fierté.]
Ses propos illustrent bien la vision de la Société avec ce projet.
Finalement, la proposition est entérinée par la Ville et le lendemain, cette dernière procède à l’acquisition du « vieux » Château, préservant ainsi in extremis ce précieux édifice. Comme prévu, la Société s’active à réaliser ses plans et le Château ouvre ses portes au public le 1er mai 1895 à titre de « musée d’histoire, galerie nationale de portraits et bibliothèque publique », institution qui fait l’objet d’une inauguration officielle en grande pompe le 9 avril 1896. Le lendemain de cet événement, La Presse écrit « Tout ce que Montréal possède de plus distingué s’était donné rendez-vous, hier soir, au vieux château de Ramezay. Nous avons rarement vu réunion plus brillante et soirée plus splendide. »
En 1929, la Société devient propriétaire du Château, en échange de 10 000 livres de sa bibliothèque qu’elle cède à celle de la Ville (aujourd’hui intégrés au corpus de la collection de la Grande Bibliothèque). La même année, le Château est le premier édifice à être classé « monument historique » par la Commission des monuments historiques du Québec.
Évidemment, le Château fera l’objet de divers travaux au cours du 20e siècle : ajout de la tourelle en devanture de son annexe en 1903; retrait de son crépi et recouvrement en cuivre de sa couverture en 1954; installation des boiseries en acajou du 18e siècle dans sa salle dite « de Nantes » en 1976; retrait du cuivre pour une couverture « à la canadienne » en cuivre étamé (imitation de tôle) en 1997 et retour de sa galerie arrière en 2012. Notons qu’en juin 2000, son environnement immédiat est transformé avec l’inauguration du Jardin du Gouverneur. Évocation esthétique et didactique d’un jardin urbain typique de la Nouvelle-France, cet aménagement est l’exemple unique d’une époque révolue.
De nos jours, la Société, organisme à but non-lucratif et de bienfaisance, est encore propriétaire du Château et de la collection qu’elle a constituée au fil des ans et qui regroupe aujourd’hui plus de 30 000 artefacts (Voir Collections). Elle administre le Musée et regroupe encore des membres, dont une centaine de bénévoles. L’institution, « musée agréé » par le Gouvernement du Québec, est la plus ancienne du genre dans la province et parmi les plus anciennes au Canada. Un groupe d’experts, en collaboration avec l’UNESCO, l’a même sélectionnée comme « Un des 1001 sites historiques qu’il faut avoir vus dans sa vie », alors que Tourisme Québec l’a choisie au sein des 10 musées incontournables au Québec.
Ainsi, au cœur du Vieux-Montréal, se trouve un bâtiment d’exception, témoin de notre histoire et animé par toutes ces Montréalaises et tous ces Montréalais qui, regroupés en association, assurent la pérennité de l’âme du lieu et de notre communauté.